Avant-dernier trajet de mes vacances :
Taipei TSA - Shanghai Pudong PVG (Shanghai Airlines 802, Eco)
http://www.flight-report.com/reportage/820/TSA-PVG.html
Shanghai Hongqiao SHA - Xiamen XMN (China Eastern 5661, Eco)
http://www.flight-report.com/reportage/822/SHA-XMN.html
Jinjiang JJN ? Guangzhou CAN ? (Shenzhen Airlines 9548, Eco)
http://www.flight-report.com/reportage/824/JJN-CAN.html
Guangzhou CAN - Xiamen XMN (China Southern Airlines 3805, Eco)
http://www.flight-report.com/reportage/825/CAN/XMN.html
Longyan LCX - Shanghai Hongqiao SHA (Juneyao Airlines 1146, Eco)
VOUS ETES ICI
Shanghai Pudong PVG - Taipei TSA (Shanghai Airlines 801, Eco)
http://www.flight-report.com/reportage/853/SHA/TSA.html
Dans mon itinéraire aérien, il y a un trou entre XMN et LCX. A trois heures de car de XMN, et à trois heures de taxi de LCX, dans l'extrémité sud-ouest de la province du Fujian, se trouvent des bâtiments uniques au monde que je voulais voir depuis des années : les Tulou. Ces bâtiments, de forme ronde ou rectangulaire, sont d'étonnantes forteresses construites pendant des siècles jusque dans les années 1930. Les murs de terre pilée de deux mètres d'épaisseur étaient invulnérables aux bandes armées qui ravageaient la région, même équipées d'artillerie légère. Contrairement à nos forteresses seigneuriales, elles étaient construites collectivement par les villageois, et offraient à chaque famille ayant participé à la construction une pièce rigoureusement identique à toutes les autres, les cuisines étant au rez-de-chaussée, avec un sanctuaire et au moins un puits dans la cour centrale.


Un étonnant habitat collectif et défensif, qui a d'autant mieux survécu au vandalisme du XXème siècle qu'il était irréprochablement politiquement correct à l'époque des pires excès communistes. Il en reste des traces d'ailleurs : remarquez au fronton de mon hôtel ci-dessous, installé dans un tulou historique, l'inscription en rouge : Vive le président Mao.

L'aéroport de Longyan fait certainement partie de ceux que les créateurs de Flight Report ne s'attendaient pas à voir figurer dans leur base de données de vols, car il ne figurait même pas dans la longue liste d'aéroports chinois quand j'ai posté ce FR. A dire vrai, il faut chercher un peu pour le trouver, car vous aurez beau chercher sur cet atlas routier tout neuf de la province du Fujian : il n'est pas indiqué.

C'est l'aéroport le plus improbable de ma carrière pourtant riche de PAX en Asie, car je mets la barre encore plus haut (ou plus bas, c'est comme on veut) dans la catégorie des aéroports les moins actifs. Après Xiangfan et ses quatre vols quotidiens, après Beigan et ses trois vols quotidiens (quand la météo le permet!), j'ai déniché un aéroport qui a quatre vols réguliers… par semaine, avec une unique destination : Shanghai - Hongqiao !
[Note : J'ai amélioré depuis ce record, avec Hengchun et ses deux vols hebdomadaires]
L'achat de ce billet d'avion a aussi illustré une particularité des vols intérieurs en Chine : un billet d'avion n'est jamais discounté longtemps à l'avance. Pour faire simple, le schéma est habituellement :
- Jusqu'à J-60 environ : plein pot
- Jusqu'à J-34 : parfois un tarif assez réduit Early bird
- Après, yield management classique. Sur une liaison ayant beaucoup de vols, le vol ayant un horaire pourri peut très bien avoir un tarif cassé, alors que d'autres sont plein pot.
Si je n'avais pas eu de place sur le vol HO1146 du 10 novembre, c'était une demi-journée de car le lendemain pour rejoindre Xiamen, et deux heures d'avion ensuite jusqu'à Shanghai, soit une journée entière des vacances perdue.
Jusqu'à J-60, c'est simple : le vol HO1146 du 10 novembre n'était même pas disponible à la vente.
De J-60 à J-30, le vol était plein pot : 1000 RMB (+190 taxes et surcharge carburant)
A J-30, le tarif a chuté d'un coup à 300 RMB (+190), et je me suis précipité pour l'acheter. Mais celui du 7 novembre est toujours resté scotché à 1000 RMB.
L'hôtel m'avait mis à disposition un chauffeur pour faire du tourisme pendant deux jours, et terminer en allant à l'aéroport de Longyan. Trois heures de route à partir de Yongding, m'a prévenu la charmante directrice de l'hôtel, alors que Longyan n'est qu'à 70 km de Yongding ? je m'attendais à des routes dans un état épouvantable pour prévoir une moyenne aussi basse, mais non : quand le chauffeur programma le GPS de sa Mercedes après avoir quitté l'ultime tulou de notre itinéraire, la distance s'est affichée : 176 km !
Car l'aéroport de Longyan n'est pas du tout à Longyan, mais à Liancheng, et du péage d'entrée de l'autoroute G76 à Longyan - Ouest (à gauche) au péage de sortie de la G25 à Liancheng (à droite), il y a 98 km d'autoroute?

? dans un paysage superbe de petites montagnes, où on aurait eu du mal à caser une piste d'atterrissage.

En arrivant dans les faubourgs de Liancheng, c'est un minuscule panneau qui indique l'aéroport, situé le long d'une avenue. Il fait nuit noire quand le chauffeur me dépose devant ce terminal dont seule la prise de vue donne l'impression de l'extérieur qu'il est illuminé.

En fait, il est désert, presque totalement dans l'obscurité, et il n'y a qu'au milieu que sous des tubes fluorescents, deux policières sont pelotonnées dans leurs manteaux, car la porte est grande ouverte.

Le chauffeur ne masque pas son inquiétude à l'idée de laisser son client étranger dans un endroit pareil. Dans son mandarin fortement accentué de hakka (la langue locale), il insiste : Vous avez vraiment un billet ?. J'ai beau lui montrer l'impression du courriel de confirmation, cela ne suffit pas à le rassurer : l'embarquement n'ouvrira que deux heures plus tard, mais il fait chercher un employé qui va démarrer le système informatique et vérifier que oui, il y a bien un billet au nom de mon passeport. Et que oui, le vol de ce soir en provenance de Shanghai est bien confirmé.

Mais vous n'allez pas pouvoir dîner ? s'inquiète-t-il alors, sachant que j'avais fait l'impasse sur le déjeuner pour maximiser mon temps de visite. On ne me prend pas au dépourvu, et je me doutais bien qu'il y aurait zéro restaurant dans un aéroport pareil : J'ai des nouilles instantanées, du café soluble et des gâteaux, ne vous inquiétez pas. Cet étranger a réponse à tout, sauf que dans ce hall désert, le distributeur d'eau chaude est lui aussi débranché. Pas de problème : les adorables policières, qui sont juchées sur d'invraisemblables talons hauts (dont ceux de l'une sont couverts de paillettes), m'allument l'éclairage de l'extrémité du hall, et m'apportent de leur local leur propre bouilloire d'eau chaude et des verres en plastique.

Les policières vont jusqu'à m'expliquer que l'enregistrement sera au comptoir numéro 3 et m'indiquer où me présenter ensuite au contrôle de sécurité, comme si c'était mon baptême de l'air. Elles sont vraiment attendrissantes. Le jour où vous verrez une jeune PAFette française s'occuper ainsi d'un Chinois ayant l'âge d'être son père, arrivé deux heures avant l'ouverture du premier vol, vous saurez que la lutte entre l'Est et l'Ouest est terminée et que la Chine est désormais aux commandes.
Le tout sous l'?oeil du chauffeur, qui va avoir trois heures de conduite de nuit pour rentrer chez lui, mais qui pendu à son portable ne cesse de tenir au courant sa base arrière en hakka. Finalement, il me dit : Bon, je vais repartir, mais s'il vous plait, quand vous serez dans l'avion, appelez la directrice de l'hôtel pour la rassurer que tout va bien, et je vois la Mercedes partir dans la nuit noire, dans un terminal toujours aussi désert extérieurement comme intérieurement.
Une heure après (ce qui m'a largement donné le temps de dîner dans la salle de restaurant la plus vaste et la plus vide que j'ai jamais vue), un premier groupe arrive en car, puis un deuxième. Peut-être aussi des individuels, car je n'ai pas surveillé l'extérieur.

Enregistrement et contrôle de sécurité banals.

Au fond à droite, vous apercevez l'une des policières, qui grâce à ses talons hauts, doit me dépasser d'environ vingt-cinq centimètres.

Et on arrive dans la salle d'embarquement?

.. dont voici les principaux aménagements commerciaux : d'abord le restaurant (c'est marqué en haut à droite, mais en fait il n'y a pour le moment que ces tables et chaises),

? et LA boutique ouverte avec LES produits en vente. Le personnel va fermer boutique à l'arrivée de l'avion, car leur vrai métier précisé sur leur uniforme, c'est femme de ménage et il faut le faire rapidement avant l'embarquement des PAX.

Autre aménagement pour l'agrément des PAX, les deux téléviseurs au fond à gauche et à droite, qui diffusent chacun une chaîne différente avec le volume au maximum, ce qui permet d'améliorer son chinois en stéréo.

Côté spotting, un seul avion sur le tarmac, mais quel avion ! ce biplan est un Yun-5, copie chinoise de l'Antonov-2, un appareil STOL qui a besoin de moins de 200 mètres de piste pour décoller et atterrir, et introuvable à l'étranger ou dans un grand aéroport.


Mais soudain,

…d'autant plus que le terminal était à l'extrémité de la piste,

… un A320 blanc émerge des ténèbres :

Le vol Juneyao Airlines 1145 en provenance de Shanghai-Hongqiao était à l'heure !

Il y a une passerelle pour les passagers,

? mais remarquez que le seul engin pour traiter les bagages de l'A320 est un escabeau, sur lequel est juché un employé qui passe les bagages un à un, au déchargement comme au chargement.

Embarquement à l'heure, et un coup de fil à l'hôtel comme promis, d'autant que je viens de retrouver dans ma poche ma carte à puce de chambre que j'ai oublié de rendre au check-out et que je lui renverrai à mon retour de vacances.

Il y a des journaux chinois à disposition, mais aussi un journal anglophone (le China Daily et le Global Times sont les deux journaux chinois de langue anglaise), ce qui est exceptionnel, surtout sur une ligne aussi éloignée des sentiers battus. A moins que je ne sois la cause de sa présence sur le présentoir.

Le pitch est normal, c'est-à-dire confortable, et l'aménagement tout aussi banal pour un appareil chinois court-courrier : deux rangs de J en 2+2 et le reste en 3+3.


Côté collation, pour un vol partant aussi tard, c'est service minimum : 20 grammes de cacahuètes. Mais en demandant avec le sourire, on reçoit avec le sourire Coca-cola ET café. Ce dernier est au lait, mais correct.

Shanghai-Honqiao, c'est évidemment autre chose que Longyan. A l'arrière plan, c'est la passerelle qui permet aux voyageurs sans bagage enregistré d'atteindre directement la sortie sans encombrer la salle de livraison des bagages au niveau inférieur : une disposition astucieuse que je n'ai vue nulle part ailleurs.

Il est 23h39, six minutes avant l'horaire théorique, et il y a encore des vols en provenance de la Chine entière.

? dans cette immense salle de livraison des bagages.

Le récit est terminé ? Pas tout à fait, car il y a un post-scriptum inattendu, que j'ajoute plusieurs jours après avoir posté ce FR.
Pourquoi cet aéroport est-il absent de l'atlas routier que j'ai acheté en Chine ? Et pourquoi cet unique vol est-il si tard dans la nuit ? Regardez ci-dessous la photo satellite de LCX (merci Google Maps). L'autoroute et sa bretelle d'accès étaient encore en chantier à l'époque où la photo a été prise, mais ce n'est pas cela qui est le plus intéressant.

A quoi bon avoir une taxiway pour un seul avion ? Pourquoi y aurait-il autant d'installations le long de la piste s'il n'y a même pas un vol par jour ? A quoi mènent tous ces embranchements ?
La réponse est simple : il s'agit en fait d'une base aérienne, dont les Chinois ne tiennent nullement à rendre exagérément publique l'existence, encore moins la configuration détaillée des hangars de béton destinés à masquer et protéger bombardiers et chasseurs. Tout devient clair : l'aéroport n'est pas nommé officiellement LianCheng, mais LongYan pour détourner l'attention . Et si le vol est si tard, c'est que pour qu'il fasse nuit, même au solstice d'été, et que les passagers ne puissent rien en voir lors de l'atterrissage, du décollage et du roulement.
Le vol HO1146 est pour les enfants qui rêvent d'être un jour dans l'avion qu'ils aperçoivent tout en haut dans le ciel.
Le vol HO1146 est pour les étudiants qui veulent savoir pourquoi ils s'acharnent à apprendre une langue étrangère.
Le vol HO1146 est pour les jeunes diplômés qui veulent porter leur sac au dos jusqu'au-delà du monde connu.
Le vol HO1146 est pour les grands voyageurs pour qui prendre l'avion est devenu de la routine.
Tout le monde devrait embarquer une fois dans sa vie à bord du vol HO1146.
J'ai embarqué à bord du vol HO1146

Merci pour ce FR, juste vous avez mis Shanghai -> Shanghai en destination ;)
Merci pour ce FR
@nicoco95
C'est une procédure habituelle quand un aéroport est absent de la BD de FR. Ne vous inquiéteé pas, les modérateurs de FR sont très réactifs.
merci pour l'info ;)
Merci Marathon et vraiment jolie découverte culturelle en début de FR ;)
J'ai rajouté et changé pour LCX :)
A+
@saraoutou
lol, les Russes ont vendu des billets sur des vols Soyouz à 20 millions de dollars. Même en yuan, ce ne sera jamais dans mes moyens.
@Damss974
Les Chinois ont recensé 30 000 Tulou, ce qui ne m'étonne pas, vue leur densité dans cette région. C'était une question de survie dans un contexte de brigandages continuels. Merci pour l'ajout de LCX :)
Merci beaucoup pour ce FR assez hors du commun :)
OUI ! Le FR m'a plu :D L'image la plus marquante : le duty free de 3m² au milieu de la salle d'embarquement ^^
A bientôt pour la fin du voyage.
Le genre de FR qui mérite un 20/20 !!!
Génial ces Tulou.
LOL, j'adore ce FR egalement, quelle exotisme, ça c'est de l'aventur, il y a aussi un tel mystere et une sensation du bout du monde avec ces photos dans la pénombre pour finalement voir pointer le nez d'un 320.
C'est un regal, merci françois!
Merci à tous pour vos encouragements.
C'est pour vivre ce genre d'aventure que je me suis mis au chinois dès mon arrivée en Chine. Quand j'ai découvert l'existence de LCX, j'ai passé du temps à bricoler mon itinéraire pour aller y prendre l'avion : le vol n'est pas quotidien, et il me fallait un plan B s'il était annulé. Le résultat a dépassé mes espérances.
Oh, quel beau et grand et vide aéroport, comme je les aimerais de temps à autre!
On est très très loin du CDG <-> LHR ;-) Merci pour ce superbe récit !
Merci d'avoir partager ces moments uniques.
@tous
J'ai mis à jour mon FR en ajoutant un post-scriptum qui devrait vous intéresser. C'était vraiment un vol hors du commun...
C'est fou!
De belles découvertes comme d'habitude ! merci
Et à nouveau un FR hors du commun... j'adore.
Merci pour le beau FR qui nous tient en suspens jusqu'au bout!
Très sympa les policieres, le taximan et l'hotel qui s'inquiète!
Pas vraiment rassurant! Tu as ecris ces lignes en étant en chine sous la pression? ?
J'ai cru que tu allais voler sur ce yun5 ?
Incroyable ces vols de nuit pour masquer l'aeroport militaire!
Le suspense était réel jusqu'à l'arrivée de l'avion !
Les Chinois sont souvent beaucoup plus disposés à aider spontanément des étrangers qu'on ne l'imaginerait.
J'ai écrit ce récit après mon retour à Taïwan, ce qui en garantissait l'indépendance rédactionnelle :)
Il aurait été quelque peu surchargé avec les PAX prévus pour un A320 !
Un souvenir de l'époque de la guerre froide, au 21° siècle !
Merci pour le commentaire !