Je tends mon passeport avec la même énergie qu’un mec qui rend sa copie blanche.
L’agente me sourit, sans savoir qu’elle vient de tamponner la dernière trace de mon estime personnelle.

Je retire ma ceinture, mes clés, mon amour-propre.
Le détecteur sonne probablement parce qu’il détecte les regrets accumulés depuis 2018.
Je regarde le tapis de rayons X avaler mes affaires. Il a l’air d’en savoir trop sur moi.
Tout le monde récupère son sac avec soulagement. Moi, j’espérais qu’ils perdent le mien pour me donner un signe du destin.

Je vers près de la porte 31. Pas de miracle à signaler.
Un haut-parleur annonce le vol précédent. J’applaudis intérieurement les gens qui ont trouvé une destination avant moi.
Je regarde le ciel à travers la baie vitrée il saigne doucement, comme s’il avait honte de finir sa journée.

Un gosse s’excite en voyant un avion décoller. J’aimerais encore croire à quelque chose avec autant de naïveté.
L’hôtesse scanne mon billet. Le bip sonore ressemble à un “bon courage” numérique.
Je marche dans la passerelle avec le pas d’un type qui s’avance vers son évaluation de vie.
Il y a cette odeur d’air conditionné et de destin tiède.

Le sourire de l’hôtesse est si parfait qu’il m’a rappelé que j’ai tout raté.
À chaque pas, je me dis : ‘tu pourrais encore rebrousser chemin’. Mais j’ai payé.

Le coucher de soleil sur le tarmac me rappelle mon propre CV : orangé, mais périmé.

Je boucle ma ceinture symbole de fidélité à ma propre médiocrité.
Autour, les gens s’installent, moi je m’efface.
Voici le pitch excellent sur cet A220-300.

Je regarde les consignes de sécurité avec le sérieux d’un homme qui n’a plus rien à perdre.

Je colle mon front contre le hublot, juste pour sentir quelque chose de plus froid que ma vie

L’appareil accélère.
Tout le monde respire fort.
Moi, j’ai arrêté de le faire depuis 2021.

On est en l'air vue le matos militaire qui peut te causer pas mal d'ennuis. Si j'étais toi Corentin, je me tiendrais à carreaux parce qu'en dessous y'a de quoi renverser l'empire romain

L’hôtesse me propose une boisson.
Je réponds ‘jus d’orange’, parce que ‘seconde chance’ n’était pas sur le menu.
Je lève mon gobelet vers le hublot toast à la faillite émotionnelle!

Je bois lentement, comme si j’avais peur de finir la seule chose douce de la journée.

À ce moment précis, j’ai compris que la boisson était gratuite, mais pas la dignité.

La lumière dorée traverse la cabine. J’ai fermé les yeux, par réflexe d’inadapté à la beauté

Les passagers dorment. Moi, je veille sur mon ennui comme un moine sur un feu mourant.


L’annonce du pilote sonne comme un rappel d’impôts.
Tout le monde redresse son siège, moi j’en profite pour affaler ma conscience.
Les lumières de Séoul apparaissent, arrogantes, brillantes, indifférentes.

Petit choc, grande métaphore.
Les roues touchent la piste, et mon cœur, la réalité.

L’avion freine, ma vie aussi, mais sans ce bruit rassurant.


Le ciel s’assombrit. Enfin, quelque chose qui me ressemble.

Je regarde le panneau ‘Bienvenue à Séoul’. J’aurais préféré qu’il dise ‘Bon courage’.

Je descends dans le couloir, dans cet air tiède qui sent la reprise de rôle social.
Personne ne m’attend. Même pas moi.
Je passe devant l’équipage ils sourient, moi aussi, comme deux espèces différentes essayant la politesse.